11 janvier 2019

L'arbitrage fout la merde

Le ver était dans la pomme. C'est ce qui a pourri le jeu de rôle et, en même temps, ce qui en a fait sa force.

Il y a une différence fondamentale entre ce jeu et les autres, une toute petite règle qui change tout : la règle qui fait d'un des joueurs l'arbitre. Tu sais celui qu'on appelle le meneur de jeu. Il n'y a pas d'arbitre quand tu joues aux échecs ou aux cartes, sauf en tournoi, et c'est quelqu'un de formé, pas le premier venu.

Quand tu joues à un jeu et que deux joueurs ne s'entendent pas sur un point de règle, on fait une pause. On relit les règles et on tranche, pas toujours dans le calme. Sinon le jeu s'arrête.

En jeu de rôle, on se tourne vers l'arbitre, puisqu'il est là à la table, et on lui demande de trancher. Et il fait de son mieux. S'il fait une pause pour consulter les règles, il risque de perdre l'attention des joueurs et la confiance qu'ils ont en son impartialité. Il risque aussi de casser le bleed.

Les conséquences sont terribles. Imagine la même chose aux échecs, qu'il faille trois joueurs pour jouer : un joueur blanc, un joueur noir et un arbitre. En cas de doute, le réflexe naturel est de se tourner vers l'arbitre. On fait tous ça. Quand l'arbitre est là, on a tendance à le solliciter en permanence. Quand il est loin, on hésite à l'appeler.

Imagine. Vous jouez aux échecs à trois. Vous découvrez tous les trois le jeu et tu poses une question naïve à l'arbitre :

"Oui, mais si la reine noire est secrètement amoureuse du roi blanc, elle va pas le trahir, si :?"

Il fait une pause, relit les règles et te répond :

"T'as pas le droit, c'est pas écrit dans les règles."

Imagine la même chose en jeu de rôle. Il n'y avait rien d'écrit là-dessus dans le premier jeu de rôle. Comment as réagi l'arbitre ? Il a peut-être répondu :

"T'as pas le droit, c'est pas écrit dans les règles."

Il a peut-être aussi créé un précédent. La fameuse règle d'or : l'arbitre peut modifier les règles. Et à partir de ça, c'est le bordel. Il n'y a plus une seule façon de jouer à Donjons & Dragons, mais autant que de tables. Imagine ça aux échecs, que chaque table joue avec ses règles.

Du coup, s'il y a autant de façons de jouer à Donjons & Dragons que de tables, chacun a le droit d'écrire ses règles à lui et de faire son propre jeu de rôle. C'est là où on en est aujourd'hui…

1 commentaire:

Glitch Bliss a dit…

Bonne réflexion.

Je trouve effectivement que plusieurs problèmes sont posés par cette absence de formalisation de l'arbitrage. Il y a trop d'implicite, même dans les jeux de rôles modernes, trop d'habitudes érigées en évidences. J'y vois les problèmes suivants :

- Les attentes paradoxales. Comme l'expérience d'une partie donnée est émergente (elle dépend de la table, son humeur, son expérience, sa composition) et qu'elle n'est pas formalisée en général (peu de jeux précisent si ils sont faits pour être drôles, tristes, émouvants, et dans quelle proportion) on retrouve fréquemment des joueurs venus pour des expériences différentes. Un joueur venu pour vivre une simple détente sociale fera nombre de réflexions méta qui entacheront l'expérience des joueurs venus s'immerger dans l'univers et les personnages.

- Le partage de l'expérience telle que l'auteur le souhaite
On sait mal décrire la forme d'une partie de jeu rôle, son rythme, son atmosphère. C'est comme décrire un morceau de musique, on manque de lexique et de vocabulaire commun. Un auteur de jdr va donc peiner à décrire le genre d'arbitrage qu'il souhaite pour son jeu, par extension le type des rapports entre les joueurs et la ligne directrice de l'expérience finale. Peut-être que l'expliquer en citant des morceaux de musique pourrait finalement faire l'affaire après tout. ;) J'imagine un jdr ou un scénario ayant comme introduction "cette partie se veut plus Wish You Were Here des Pink Floyd que Kaltes Klares Wasser de Malaria", je me dis que ça peut fonctionner. :)

- La déresponsabilisation des joueurs
L'arbitrage unique et d'une façon générale le rôle à tout faire du MJ entraîne des biais que je trouve assez problématiques. Beaucoup de joueurs et de MJs nourrissent la croyance qu'une seule personne est responsable de la qualité de la partie, qu'une seule personne est responsable de son organisation, de son déroulé, de son évolution de son atmosphère, etc... Cette sur-responsabilisation illusoire, c'est trop de pression pour le MJ. Et ces idées sur la qualité sont fausses et tiennent souvent justement à la passivité des joueurs qui y croient.

Enfin bref, il y aurait encore beaucoup de choses à dire. ;)

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