23 novembre 2016

Que faites-vous ? (2e partie)

– La seule façon de sortir d'ici, c'est de pousser une des portes.

– L'une d'elles ouvre sur le château au centre du labyrinthe. Quant à l'autre, elle ouvre sur…

– Po-po-po-pom !

– … la mort certaine.

Labyrinthe, 1986.

Dans le premier article, je me suis interrogé sur les choix possibles en partie. Pour moi, c'est le propre du jeu de rôle : faire des choix. Tous les joueurs en font, y compris le meneur de jeu, des choix en partie, mais aussi hors partie, qui influencent la partie.

Entre-temps, j'en ai discuté avec Thomas Munier qui partage sensiblement les mêmes idées. Vous retrouverez ses réflexions dans une série de podcasts sur les "atomes" du jeu de rôle : il distingue le jeu esthétique, le jeu social, le jeu tactique et le jeu moral.

Est-ce que je partage les idées de Thomas ? Pas entièrement, mais son point de vue m'a aidé à étayer le mien.

Faire un choix.  J'ai besoin de préciser quelques évidences avant de commencer.

Si on me propose de choisir entre plusieurs possibilités, c'est un choix fermé. À Donjons & Dragons, par exemple, on me propose de jouer un elfe, un gnome, un hafelin, un humain, un nain, un semi-elfe ou un semi-orque. C'est un choix fermé.

Si on me laisse libre, c'est un choix ouvert. Pour reprendre l'exemple de Donjons & Dragons, pour le nom de mon personnage, le choix est ouvert : on me propose des exemples, mais on me laisse choisir.

Si rien ne me permet de me décider, c'est un choix en aveugle. Si je suis face à deux portes identiques et que je dois choisir celle de gauche ou celle de droite, je fais mon choix en aveugle. Rien ne me permet de distinguer l'une de l'autre.

Si on me propose deux possibilités, et que l'une est inacceptable, le choix ne se pose pas. Si je dois choisir entre sauver ma femme et la laisser mourir, le choix ne se pose pas.

On parle de dilemme quand un choix implique obligatoirement un sacrifice. Si je dois choisir entre sauver ma femme et sauver des milliers de gens, je suis face à un dilemme.

Je peux donc me trouver face à :

– un choix fermé

– un choix ouvert

– un choix en aveugle

– un choix qui ne se pose pas

– un dilemme

Une tentative de classification.  J'ai distingué dans l'article précédent les choix stratégiques et tactiques, les choix cosmétiques et les choix dramatiques. Cette distinction était très limitée, mais elle recouvre en partie celle de Thomas.

Nous nous retrouvons sur les choix tactiques et sur les choix esthétiques, que j'ai appelés cosmétiques. Esthétique est à la fois plus clair et moins péjoratif que cosmétique. J'avais oublié les choix moraux et les choix sociaux.

On se retrouve donc face à cinq types de choix :

– des choix stratégiques ou tactiques

– des choix esthétiques

– des choix moraux

– des choix dramatiques ou narratifs

– des choix sociaux

Ce n'est qu'une tentative de classification. Je suis persuadé qu'il y a d'autres types de choix possibles, mais je sèche pour le moment.

Je vais en donner une définition rapide.

Je fais un choix tactique quand je privilégie quelque chose d'efficace à quelque chose de moins efficace.

Je fais un choix esthétique quand je privilégie quelque chose de classe à quelque chose de moins classe.

Je fais un choix moral quand je privilégie quelque chose de bien à quelque chose de moins bien.

Je fais un choix dramatique ou narratif quand j'influe sur le rythme ou la chronologie de la partie.

Je fais un choix social, même si je n'aime pas beaucoup le terme, quand je facilite le bien-être autour de la table.

Les choix dramatiques ou narratifs.  Je reviens un moment sur les choix dramatiques ou narratifs. Il y a plusieurs façons d'influer sur le rythme et la chronologie de la partie.

L'ellipse influe sur le rythme de la partie. Je décide de ne pas raconter ce qui se passe, parce que je trouve ça évident, sans intérêt, trivial ou dérangeant. Ainsi, en tant que joueur, je ne raconte pas comment mon personnage fait l'amour. En tant que meneur de jeu, je peux faire une ellipse sur un trajet de deux heures à travers la ville s'il ne se passe rien de spécial.

Le sommaire est proche de l'ellipse. Il influe aussi sur le rythme de la partie. Plutôt que de ne pas raconter ce qui se passe, je le résume en quelques phrases.

L'analepse (ou flashback en anglais) influe sur la chronologie de la partie. Je raconte quelque chose qui s'est passé avant. Cette technique est si courante au cinéma que je n'ai pas besoin de m'étendre dessus.

La prolepse (ou flashforward en anglais) influe aussi sur la chronologie de la partie. Elle est moins courante que l'analepse. Je raconte quelque chose qui va ou qui pourrait se passer. Thomas recommande cette technique dans les jeux qui proposent des choix ou des dilemmes moraux. Le joueur se retrouve face aux conséquences de ses choix avant de les faire. Une façon de l'impliquer davantage moralement.

Le jeu de rôle Boule de Neige (Snowball) influe à l'extrême sur la chronologie de la partie. On raconte les scènes à l'envers comme dans le film Memento. La partie débute avec la scène finale et se termine par la scène du début.

Les choix sociaux.  Je reviens un instant sur les choix sociaux. À la différence des autres choix, qui se font en partie, ces choix se font hors partie, mais ont des conséquences en partie.

Quand je choisis de finir la partie avant minuit pour que les joueurs puissent prendre le dernier métro, je fais un choix moral. Pareil quand je fais attention à ne pas blesser Majid, qui a perdu sa grand-mère la semaine dernière. Quand je fais des cookies pour tout le monde et que je ramène du pschitt. Ou, de façon plus triviale, quand je fais une pause pour aller pisser.

De mauvais choix pour de bonnes raisons.  J'ai donné tout à l'heure une définition rapide des choix. On peut être amené à faire de mauvais choix pour de bonnes raisons.

Dishonored est un jeu vidéo qui offre de nombreux choix tactiques. Pourtant, comme de nombreux joueurs, je ne réfléchis pas de la façon la plus efficace. Je fais tout pour ne pas me faire remarquer et pour ne tuer personne, en mode fantôme et non-léthal. Une façon de corser le défi.

Je peux reprendre cette analogie avec tous les types de choix. Je peux jouer esthétique en cultivant l'esthétique la moins classe possible, un humain sans pouvoirs dans un monde brutal. Je peux jouer moral en faisant des choix qui ne me ressemble pas. Et ainsi de suite.

Mes choix.  Quand je fais un choix, ce n'est pas toujours clair dans ma tête. Si je joue un paladin à Donjons & Dragons, mon personnage sera confronté à des choix moraux, mais moi, pas forcément. Si je me claque au mieux sur l'image du paladin, je fais un choix esthétique. Peu importe les choix moraux auxquels mon personnage est confronté, il faut qu'il ait l'air d'un vrai paladin.

C'est ce que j'appelle un choix esthétique brouillé par un choix moral.

De la même façon, je peux imaginer un choix tactique brouillé par un choix esthétique, jouer un jedi parce qu'il est clairement avantagé au combat et me foutre de le jouer dans le canon esthétique de Star Wars.

Et je peux faire ça pour n'importe quel choix.

Les choix des autres.  Du coup, je peux avoir du mal à interpréter les choix des autres. Maëlstrom oblige, je ne ne comprends pas toujours leurs choix et je peux même me tromper.

Si Élodie décide de jouer une elfe à Donjons & Dragons, ça peut être parce qu'elle trouve les elfes classes ou juste parce qu'ils ont un bonus de +2 en Dextérité et une vision nocturne, ce qui est parfait pour jouer une voleuse. Dans le premier cas, elle fait un choix esthétique. Dans le deuxième, un choix tactique. Si elle dit juste qu'elle veut jouer une elfe, je ne sais pas forcément pourquoi elle fait ce choix.

C'est souvent parce qu'on n'explique pas ses choix qu'il y a des dysfonctionnements autour d'une table de jeu. L'exemple le plus célèbre est celui de Vampire : La Mascarade. Imaginez. Élodie veut jouer un vampire parce qu'elle veut jouer une créature qui fasse la différence au combat. Je veux jouer le côté sombre et torturé du vampire. Majid, lui, veut être forcé à prendre des décisions qui révèlent ou trahissent son humanité. Élodie fait un choix tactique, moi un choix esthétique et Majid un choix moral. La partie risque de vite dysfonctionner.

Voilà, c'est tout pour le moment. Je continuerai sur le sujet si vous êtes sages ;)

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