Je voulais intituler cet article "Qu'est-ce que le jeu de rôle ?" Je me suis dit que c'était un brin provoc.
Si tu veux bien, je vais partir d'un présupposé. Une partie de jeu de rôle est une activité ponctuelle. On commence à faire des trucs et on termine quelques heures plus tard. Au besoin, on termine pas vraiment, on envisage une suite la semaine ou le mois d'après, mais on termine. On se sépare et chacun rentre chez soi.
Cette activité ponctuelle, ce qui a eu lieu, je peux l'étudier, l'analyser, tenter de la définir, d'en cerner les contours. Habituellement, on tente de définir le jeu de rôle en faisant une liste de matériel. Alors, pour jouer, on a besoin d'un meneur, des joueurs, de dés… Oui et non. En faisant une liste de matériel, je force la critique. Untel va vouloir jouer sans meneur, pour voir si c'est possible, sans joueur ou sans dés… et c'est toujours du jeu de rôle.
C'est là où les sciences, la philosophie, la littérature, la socio, la politique jouent un rôle. Je peux prendre les outils à ma disposition, littéraires en ce qui me concerne, pour aller plus loin. Une partie est d'abord un texte. Un texte souvent oral, majoritairement improvisé et presque toujours à plusieurs voix.
J'ai peut-être besoin de définir ce qu'on attend par voix en littérature. Une voix, c'est un personnage qui parle. Quand je raconte un truc qui m'est arrivé, je garde souvent une seule voix, la mienne. Je me mets en scène, je suis le personnage principal de mon histoire et je parle de moi en disant "je".
"Tu vas jamais deviner ce qui m'est arrivé hier. Je fais mes courses, tranquille, et là, je croise Nathan, un petit gars que j'ai connu y a dix ans à Strasbourg. Dix ans, tu te rends compte…"
Si je fais parler Nathan à ce moment-là de mon histoire, j'introduis une deuxième voix. Et je peux, comme ça, introduire autant de voix que je veux dans mon histoire. Tu me suis ? Si c'est bon, prépare-toi à l'étape au dessus.
Une voix peut s'effacer, volontairement. C'est souvent la voix du conteur ou du narrateur, qui s'efface derrière son histoire, qui donne l'impression que l'histoire se raconte toute seule.
"Le Petit Chaperon Rouge est perdue, seule dans le bois. Elle hésite sur le chemin à prendre. À droite ? Non, à gauche, plutôt…"
Il y a bien quelqu'un qui te raconte ça, mais c'est pas important, ou, du moins, on veut te le faire croire.
Pourquoi je te raconte tout ça ? et quel rapport avec le jeu de rôle ? J'y viens doucement, pour pas te brusquer. Je vais juste me permettre un raccourci, qui va t'épargner de suivre une licence de lettres.
Quand un auteur commence à écrire, au début, il a tendance à effacer sa voix. Il emploie le "il" pour parler de son héros. Et puis, quand l'auteur gagne en maîtrise, il est de plus en plus tenté par le "je", il ne s'efface plus, il devient son personnage, épouse ses idées, s'empare de lui et se laisse posséder à son tour.
Tu le vois le lien avec le jeu de rôle ? Un auteur qui écrit un roman fait du jeu de rôle. Sans le savoir. Le roman est une partie. Une partie écrite et pas improvisée du tout.
Alors, oui, c'est pas du "vrai" jeu de rôle, mais on est proche. L'auteur joue un personnage, pas comme au théâtre. Il n'interprète pas un rôle écrit à l'avance, il crée le rôle. Et c'est exactement ce que tu fais en partie. Ou plutôt ce qu'on fait, la plupart du temps à plusieurs.
Mais c'est pas le plus fort. Le jeu de rôle entretient la confusion des voix. Tu dis "je" quand tu parles de toi, mais aussi quand tu parles de ton personnage. Ça crée du bleed, du métajeu. C'est à la fois ce qu'on kiffe et qu'on déteste en partie quand tu dis ce "j'ai 15 en Force" où "je" n'est ni toi, ni ton personnage, mais un transitoire pour décrire les actions de ton personnage. Il y a toi, ton personnage avec sa vie et ce transitoire avec des stats, des chiffres et des bouts de phrase. Tous les trois réunis par un seul "je".
Ce qui m'amène à une conclusion assez inattendue. Une partie de jeu de rôle n'est pas une histoire à plusieurs, comme on le lit souvent, mais une actualisation, une performance, pas au sens sportif ou artistique, mais un truc qui se crée en temps réel, un bout d'univers importé dans le nôtre et qui n'existe que tant qu'on parle. Ce qui s'est passé dans la partie est aussi "vrai" que ma rencontre avec Nathan, dans le sens où c'est un truc qui s'est passé pour de vrai, même si c'était dans un monde imaginaire.
Voilà. J'espère que je t'ai pas perdu en chemin, pas soûlé. Comme d'hab, c'est juste une réflexion, pas une théorie, une simple brique de Lego pour comprendre mes parties ou les tiennes.
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