11 décembre 2018

Jouer (1) : Polar & Scénar

Alex Proyas, Dark City, 1998

Le jeu de rôle est une activité qui a un peu plus de 50 ans. C'est une activité de groupe, surtout orale, et il est difficile d'en parler à l'écrit. En plus, à la différence d'autres activités plus standardisées, il y a mille façons d'y jouer et de s'y amuser. Pas facile donc d'écrire quelque chose de synthétique sur le sujet.

Comment on joue ?  Comme beaucoup de rôlistes, j'ai écrit mon propre jeu de rôle, ou plutôt mes propres jeux de rôle, à défaut de tous les avoir publiés. Et, comme tout le monde, j'ai fait ça au doigt mouillé, avec cette idée un peu absurde que tout le monde joue comme moi et cherche la même expérience de jeu. Je me suis mis le doigt dans l'œil, comme la plupart des auteurs.

En 50 ans, le jeu de rôle a évolué, mais pas des masses. Les premiers jeux de rôle étaient juste des systèmes (game system), c'est-à-dire des systèmes de résolution d'action, surtout en combat. À ces systèmes, on a greffé des cadres (setting), c'est-à-dire des éléments de décor ou d'univers. On a pensé qu'en détaillant le plus possible ces systèmes et ces cadres, on arrivera au jeu de rôle idéal. C'était une erreur.

Et puis, on a réfléchi à la partie elle-même (game) et à ses règles. Tout un vocabulaire a émergé, un vocabulaire précis et pertinent, mais difficile à maîtriser. Au point que certains ont trouvé que ça avait tué le jeu (fun).

Pour tout te dire, je m'emmerde souvent en partie si mes attentes ne sont pas un minimum satisfaites. J'ai acheté beaucoup de jeux qui me plaisaient, et que je n'ai jamais fini de lire. Je me suis arrêté à leur accroche (pitch), ou à leur proposition créative (creative agenda) si tu préfères. Je joue souvent à des jeux que je n'aime pas, juste pour le plaisir de voir comment ils fonctionnent, pour l'expérience ludique.

C'est à force d'écouter un podcasteur rôliste, Romaric Briand, pour pas le citer, que j'ai réalisé que peu de rôlistes expliquent comment jouer à leurs jeux dans leurs bouquins. On a juste un manuel d'instructions, difficile à comprendre quand on sait pas comment l'auteur mène la partie. Oui, tu vas me dire qu'il y a des jeux sans meneur (gamemaster). Parlons d'intermédiaire (dealer) alors. Tu sais, celui qui te propose de passer un samedi soir pour jouer chez lui avec des potes un jeu, tu vas voir, il est génial.

L'intérêt du polar.  Si tu t'es pas arrêté de lire après cette longue introduction, autant te dire tout de suite que je vais parler de Terres Suspendues et comment j'y joue. Pas vraiment pour parler de moi, mais pour essayer de mettre par écrit les règles d'une partie "pour de vrai".

J'ai pas la prétention d'avoir écrit un bon jeu, ni de savoir bien mener une partie, j'optimise juste ce que j'ai à disposition.

Quand je mène une partie, je me donne plusieurs contraintes, pour me faciliter la tâche. Je joue dans un genre précis, le polar. Plutôt que de reprendre les codes des romans policiers ou des séries policières, je les adapte au jeu de rôle. J'ai besoin que les joueurs à la table jouent une équipe soudée. S'ils travaillent tous pour la police, ça leur donne une raison de travailler réellement en équipe. Les objectifs des joueurs et des personnages se mélangent (bleed).

Autre intérêt, les personnages ont un objectif de base et des raisons de l'accomplir : c'est leur job de résoudre une enquête. Là encore, ça se mélange.

Dernier intérêt, quand, au bout de 3-4 heures de partie, l'enquête se termine, la partie se termine aussi. Pas besoin de compter sur les joueurs pour faire un résumé la fois suivante, pas de problème pour ajouter un nouveau joueur à la prochaine partie, pas de problème non plus si un joueur est absent.

C'est donc un format tout bénéf.

La seule contrainte que j'évacue, c'est l'enquête trop bien ficelée, façon Hercule Poirot. En partie, aucun personnage n'a jamais d'idée lumineuse, de "Bon sang, mais c'est bien sûr", qui résout d'un coup l'enquête. Aucun personnage ne découvre non plus le fin mot de l'histoire en analysant un vague résidu de je-ne-sais-quoi sur une empreinte de chaussure.

Je pars donc sur une enquête simple, très simple, pour être sûre que les joueurs puissent la résoudre. Je garde juste pour la fin un petit twist (retournement de situation), un choix moral à faire qui implique les joueurs, bleed again.

Le scénar.  Je joue toujours sans scénar, j'aime pas ça, trop linéaire, trop dirigiste à mon goût. J'aime que les personnages soient au cœur de l'intrigue, que ce soient eux les héros.

Ne pas pouvoir prévoir les choix des joueurs n'empêche pas de les anticiper. Comme les héros font partie des forces de l'ordre, les joueurs ne peuvent pas faire n'importe quoi.

Une deuxième astuce consiste à faire jouer en ville. On peut pas échapper à une ville. Je te parlerais un autre jour de ma vision de la ville comme labyrinthe et de mon obsession pour Dark City. Plus sérieusement, quand leurs personnages sont en ville, les joueurs ne pensent pas à les en faire sortir. Et, dans une ville, le nombre de lieux à visiter est limité, c'est le principe de la cage dorée.

Pas besoin de scénar donc puisque les personnages iront toujours quelque part pour rencontrer quelqu'un. Ça tombe bien, j'ai une liste de personnages et de lieux tous prêts, chacun sur un Post-it®.

Le point de départ de la partie est la préparation. Je prépare juste l'intro. Quelqu'un ou quelque chose a disparu dans des conditions mystérieuses, et il faut le retrouver. Un incident a lieu, et il faut calmer les esprits… C'est le point de départ de L'Affaire du jardin aux Ours par exemple : des manifestants bloquent un parc public, 2-3 personnes influentes sont impliquées là-dedans, comment éviter que la situation dégénère ?

L'important, c'est que j'ai pas de solution. Je sais pas comment la partie va finir. Un scénar que je fais jouer plusieurs fois finit rarement de la même façon. C'est difficile quand on joue en campagne et pas en one-shot, parce que ça oblige à s'adapter aux joueurs d'une partie à l'autre, mais c'est l'intérêt du jeu.

Quand on fait des personnages des joueurs les héros, quand on les met au centre de la partie, il faut accepter que leur rôle change la donne.

Voilà pour ce premier épisode, que j'espère à suivre.

Merci à toi. Bonne lecture et bon jeu.

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